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    GERMINAL

    La fusillade de Germinal inspirée de celle du Brûlé à la Ricamarie en 1869?

    A l’origine de la tragédie qui secoua le Second Empire déclinant, il y eut la grève générale des mineurs de la Loire. Selon Pétrus Faure qui, dans son Histoire du mouvement ouvrier dans la Loire (1956), réfute l’idée d’une grève politique, elle fut déclenchée pour faire aboutir des revendications portant sur les salaires et le temps de travail. A savoir : l’augmentation et l’uniformité des salaires et l’application de la journée de huit heures ou tout du moins la réduction du temps de travail, alors d’une durée de 11 à 13 heures/jour ! Mais aussi pour la centralisation des caisses de secours et le contrôle des ouvriers sur leur gestion et leur comptabilité.

    Des affrontements eurent lieu à Saint-Chamond, Saint-Etienne, Terrenoire... mais c’est à La Ricamarie, aux puits de Montrambert et de La Béraudière, qu’ils furent les plus violents. Un millier d’hommes assaillirent le puits Abraham mais ils furent repoussés. Le capitaine Gausserand qui commandait la troupe déclara que les « ouvriers se laissaient aborder par la pointe des baïonnettes et qu’ils offraient eux-mêmes leurs poitrines en disant : « Frappez si vous voulez, mais nous ne partirons pas. Nous réclamons notre droit ! » Ce sont les arrestations du Puits Devillaine qui mirent le feu aux poudres. La Région Illustrée : « Le 16 juin, au matin, une manifestation toute pacifique, à laquelle prirent part environ 200 ouvriers, eut lieu autour des puits. Personne ne l’inquiéta. Il n’en fut pas de même l’après-midi. Vers 2 heures, une seconde manifestation aussi calme que la première arriva vers le puits Devillaine. Une compagnie du 4e cerna les grévistes. » Ces mineurs voulaient empêcher le chargement d’un stock de charbon.

    Une quarantaine d’entre eux (33 écrit La Région ; à noter que ceux qui ont écrit sur le sujet évoquent le plus souvent le puits de l’Ondaine au lieu du puits Devillaine. Les deux puits étaient voisins) furent arrêtés et le capitaine Gausserand décida de les conduire vers la prison de Bellevue à Saint-Etienne. La Région toujours : « L’illustre capitaine de cette soldatesque avinée (sic) demanda au machiniste Morel des cordes pour attacher ces honnêtes malfaiteurs. Inutile de dire que Morel répondit qu’il n’en avait pas. »

    Le commandant choisit de faire passer sa troupe par un chemin détourné. Deux cents soldats conduisent les prisonniers mais, très vite, une foule de grévistes grossie par les habitants des hameaux traversés (le Montcel...) s’agglutine sur leur passage et se fait pressante. C’est aux abords du puits Quentin qu’eut lieu la fusillade, vers le hameau du Brûlé où le chemin était encaissé entre deux talus de trois à quatre mètres.

    Comment se sont déroulés les événements ? Le chemin était enjambé par une passerelle sur laquelle la foule s’était massée. Des centaines d’autres grévistes et des proches des prisonniers (800 selon Gausserand) attendaient aussi sur un des talus l’arrivée de la colonne. Un groupe dévala alors le talus et parvint à libérer une dizaine de prisonniers. C’est en tout cas ce que déclara l’officier dans son rapport. L’article de la Région Illustrée (toujours cette « personnalité ricamandoise ») évoque pour sa part « une délégation de Ricamandois qui aborde le capitaine et lui demande la mise en liberté des camarades ». Les auteurs de 150 ans de luttes ouvrières dans le bassin stéphanois forcent le trait : « Les femmes, les filles et les mères des prisonniers se jettent aux pieds des soldats ; affolés, ceux-ci répondent par une fusillade ».

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    Gausserand déclara dans son rapport que, du haut de la passerelle, des pierres commençaient à pleuvoir sur ses soldats et que des coups de feu furent tirés depuis la foule des grévistes. Rien n’est moins sûr puisque aucun soldat ne semble avoir été blessé. Toujours est-il que la troupe ouvrit le feu, sans sommation. Mais Gausserand a-t-il donné l’ordre de tirer ? Il s’en défend, écrivant dans son rapport que ses soldats agirent, « poussés par un sentiment de légitime défense ». L’article de la Région Illustrée indique clairement qu’il perdit son sang froid et qu’il commanda le feu. Ni la brochure du Sentier du mineur de la Ville de la Ricamarie, ni Pétrus Faure ne prennent partie à ce sujet.

    Ensuite ? « Une débandade à travers champs s’ensuivit, mêlée des cris de douleur des blessés, et des vociférations des autres manifestants. Et la fusillade continuait par trois fois sur les malheureux fuyards, tuant ceux-ci, couchant le paisible arracheur de pommes de terres (Georget), transperçant dans les bras de sa mère (Fleurine Basson) un innocent enfant de 17 mois ! » Le récit ne manque pas d’émotion. « O horreur ! Un jeune homme de 18 ans, nommé Boileau, se trouvait au nombre des prisonniers. Sa mère vint s’agenouiller aux pieds du lieutenant, demandant grâce pour son enfant. Non ! ce lieutenant aussi cruel que gorgé de vin, voulut lui aussi avoir sa victime. Et elle était là devant lui, à genoux ! Pauvre femme, pauvre mère ! le fils prisonnier, ce n’est pas suffisant. A ce bras odieusement glorieux, il faut une autre proie ! ! Et d’un coup de sabre, traversant la tête de la malheureuse de la bouche à la nuque, il l’étendit sur le sol... »

    C’est de la mort de Rose Rival, 49 ans, dont il est question ici. Epouse de Claude Boileau, elle habitait au Montcel. 12 autres victimes restèrent sur le carreau. Une 14e devait succomber à ses blessures quelques heures plus tard. Trois autres femmes furent grièvement blessées ainsi qu’un garçonnet et une fillette. Cette dernière, Eugénie Petit, fut blessée de deux coups de feu et d’un coup de baïonnette. L’Impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, fut sollicitée pour venir en aide à sa famille. L’Impératrice demanda conseil à un général qui lui répondit : « Je pense que venir en aide à des familles qui n’ont pas craint d’employer l’outrage et la calomnie contre de braves soldats qui ont fait leur devoir serait du plus fâcheux exemple aux yeux de cette mauvaise population de Saint-Etienne ; ce serait un blâme jeté sur l’armée, et ce serait dangereux pour l’avenir. » L’Impératrice ne leva pas le petit doigt.

    14 étoiles : pour chacune des victimes dont le nom est gravé sur le socle du Monument. Inauguré le 24 juin 1989, il a été sculpté par Victor Caniato.
    VICTIMES DES COMPAGNIES DES MINES ET DE L’EMPIRE
    TOMBEES LE 16 JUIN 1869 AU BRULE

     

    Le retentissement de la boucherie du Brûlé fut immense. De nombreux journaux parisiens, dont Le Moniteur, envoyèrent sur place des correspondants pour assister aux funérailles du 18 juin. Léon Heckis, journaliste du Moniteur, n’hésita pas à affirmer la responsabilité de Gausserand. Emile Cretot, rédacteur en chef de L’Eclaireur stéphanois qui, dans un premier temps, évoqua le « Massacre » dut démissionner. 5000 soldats et gendarmes furent déployés les jours suivants pour éviter tout incident.

    Outre les grévistes déjà arrêtés par Gausserand, une cinquantaine d’autres mineurs furent traduits en justice courant août. Parmi eux, Michel Rondet qui fut condamné à sept mois d’emprisonnement, mais les détenus furent graciés quelques jours plus tard à l’occasion du Centenaire de la naissance de Napoléon. Gausserand, quant à lui, fut décoré place Marengo de la Légion d’honneur. Un an plus tard, la tête du « héros » du Brûlé était emporté par un obus prussien, à ce qu’il s’est écrit...

    "Partout la faim, Roubaix, Aubin, Ricamarie,
    La France est d’indigence et de honte maigrie,
    Si quelque humble ouvrier réclame un sort meilleur
    Le canon sort de l’ombre et parle au travailleur."
    Victor Hugo

     

     


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